samedi 3 novembre 2012
vendredi 2 novembre 2012
Mort de Max Schoendorff
Quand j’ai rencontré Max, il
n’avait que 2 ans, mais il occupait déjà toute sa place.
Depuis, je l’ai constamment trouvé
à coté de moi ou plutôt devant moi car il a toujours été d’avant-garde.
Pendant la guerre nous habitions à
Mâcon à coté du siège de la gestapo avec un sentiment constant de danger, puis
de clandestinité quand notre père eut rejoint le maquis.
Max, aidé de soldats de plomb, me
racontait des histoires de méchants boches contre lesquels luttaient les
gentils résistants. Mais tout cela devait rester secret, la milice rôdait, les
oreilles grandes ouvertes.
Notre père, d’origine lorraine,
était professeur d’allemand, ce qui pouvait l’aider à tromper l’ennemi. Et plus
tard à nous faire comprendre l’abîme entre la culture germanique (ah le Sturm
und Drang !) et la folie criminelle des nazis.
A la libération l’espoir de la
France nous semblait à gauche. A la maison nos parents lisaient Franc-Tireur et
le Canard Enchaîné. Nous faisions partie de cette grande famille laïque,
opposée aux collabos, aux fanatiques de tous poils, aux hyper-riches de
naissance.
Nous passions le plus souvent nos
vacances chez notre grand-mère maternelle, directrice d’école à la retraite, à
Gray (Haute-Saône). Et là les souvenirs d’enfance abondent :
La traversée de la Saône à la nage
pour épater les filles des voisins,
Les gigantesques tartines de
cancoillotte au goûter,
Max faisant des démonstrations de
saut périlleux,
Les tartes aux mirabelles de notre
grand-mère dont la pâte nécessitait de la peau de lait,
Cartouche « saynète de
théâtre » jouée dans le garage du propriétaire,
La mansarde transformée en atelier
ou Max s’exerçait à peindre des fleurs au pastel à l’instar de la voisine du
rez-de-chaussée ou à élaborer des sculptures en fil de fer et en plâtre.
Plus tard, le vélo
vert à guidon droit que j’ai reçu de mes parents, parce que Max avait réussi
son bac de lettres et que notre grand-mère lui avait offert pour le récompenser
un magnifique vélo violet à guidon de course et double plateau.
Max (une classe avant moi) en
première, philo puis Khâgne, au Lycée du Parc où notre père était professeur,
commençait sa carrière de provocateur attiré par toutes les audaces en
littérature, en peinture et en musique : Les objets, les images et les
livres s’accumulaient déjà dans la chambre que nous partagions alors place
Jean-Macé.
Ainsi, grâce à Max, tous les
aspects de la pensée, de la culture et de l’art d’avant-garde m’étaient
disponibles à domicile
Artaud,
Lautréamont, André Breton suivaient Sartre
Les fleurs au pastel étaient
oubliées et les images punaisées aux murs étaient signées Picasso, Miro, Ernst,
Duchamp …
Sidney Bechet a vite été supplanté
par Gerry Mulligan , Bud Powell, Thélonius Monk et surtout Charlie Parker sur
l’improbable tourne-disque Capri (ancêtre du Teppaz) que Max avait déniché je
ne sais où.
Et puis il y avait le
théâtre : Après Britannicus joué par Jean Marais aux Célestins en 1952,
que nous vîmes ensemble il se mit à fréquenter assidûment la rue des
Marronniers ou j’ai admiré pour la première fois son ami Roger Planchon dans
Liliom de Ferenc Molnar.
En 1955 Max a quitté le domicile
de nos parents, peu avant la mort prématurée et subite de notre père un soir
glacé de mars 1956.
Mais pendant mes années d’étudiant
je le retrouvais souvent le soir avec ses amis
Chez Planchon, entre le Théâtre de
la Comédie et le café de la Brioche
Chez Marcel et Zaza Michaud à la
Galerie Folklore rue de Jussieu
Chez les frères Péju à la
librairie La Proue
Tard le soir Rue Bellecordière à
l’arrière du Progrès avec Jean-Jacques Lerrant
Et le dimanche matin au Ciné Club
(au Pax, au Tivoli) avec Bernard Chardère
Ah ! c’était
bien d’avoir un grand frère de cette envergure, pas toujours facile à suivre,
mais on y gagnait toujours,
Des rencontres comme Antoine Demilly,
Etienne Martin ; ou cette nuit mémorable en 1956 autour d’une soupe à
l’oignon quai Saint- Antoine à refaire le monde avec Planchon et Ionesco.
Et aussi des amis, Modest Cuixart,
Michel Vinaver et tant d’autres impossibles à énumérer, plus ou moins proches
mais toujours passionnants.
Je crois même, que c’est dans ces
milieux infréquentables que j’ai rencontré Denise, ma femme.
Comme Max n’a jamais voulu
« monter à Paris » j’ai pu continuer à suivre, d’assez près, bon
nombre de ses aventures, quelquefois pour lui rendre service comme chauffeur ou
comme photographe, mais le plus souvent pour le simple plaisir.
Comment oublier, au printemps
1967, cette soirée sans fin dans les bistrots de Barcelone avec Max, René
Metras (son galeriste) Cuixart, Stahly, Jean Baptiste Chéreau, alors que des
patients m’attendaient le lendemain à 8 heures du matin dans mon cabinet
dentaire. (et qu’il n’y avait pas encore d’autoroute entre Lyon et l’Espagne)
Une mémorable expédition un
week-end de l’automne 76 à Berlin au Schiller Theater pour la première de La
Double Inconstance de Marivaux mis en scène par Jacques Rosner, dans des décors
de Max, parce qu’il fallait rapporter moult cartons de livres.
Ou en 1978 le pèlerinage à
Bayreuth pour applaudir la mise en scène iconoclaste du Ring par Patrice
Chéreau. Etc. etc.
etc.
Max pour ses amitiés
comme pour tout le reste recherchait toujours le meilleur et l’on trouvait peu
de médiocres autour de lui.
Il avait une
insatiable curiosité et une rare exigence dans tous les domaines : les
amis, les lectures, les cigares, la nourriture, la musique et même les
vêtements …
On le retrouvait partout, partout
où il fallait aller, bref on était proches et c’était bien.
Il va vraiment manquer à notre
mère, à nos sœurs, à Denise, et surtout à Marie-Claude qui a eu le privilège de
partager son aventure exaltante pendant toutes ses années.
Pourquoi mourir quand on a un si
formidable appétit pour la vie, pour la connaissance, pour la beauté ?
La vie va devenir moins
passionnante sans mon grand frère.
Rémi Schoendorff, lu aux
funérailles de Max le 25 octobre 2012
Inscription à :
Articles (Atom)