vendredi 2 novembre 2012

Mort de Max Schoendorff



Quand j’ai rencontré Max, il n’avait que 2 ans, mais il occupait déjà toute sa place.

Depuis, je l’ai constamment trouvé à coté de moi ou plutôt devant moi car il a toujours été d’avant-garde.

Pendant la guerre nous habitions à Mâcon à coté du siège de la gestapo avec un sentiment constant de danger, puis de clandestinité quand notre père eut rejoint le maquis.

Max, aidé de soldats de plomb, me racontait des histoires de méchants boches contre lesquels luttaient les gentils résistants. Mais tout cela devait rester secret, la milice rôdait, les oreilles grandes ouvertes.

Notre père, d’origine lorraine, était professeur d’allemand, ce qui pouvait l’aider à tromper l’ennemi. Et plus tard à nous faire comprendre l’abîme entre la culture germanique (ah le Sturm und Drang !) et la folie criminelle des nazis.

A la libération l’espoir de la France nous semblait à gauche. A la maison nos parents lisaient Franc-Tireur et le Canard Enchaîné. Nous faisions partie de cette grande famille laïque, opposée aux collabos, aux fanatiques de tous poils, aux hyper-riches de naissance.

Nous passions le plus souvent nos vacances chez notre grand-mère maternelle, directrice d’école à la retraite, à Gray (Haute-Saône). Et là les souvenirs d’enfance abondent :
La traversée de la Saône à la nage pour épater les filles des voisins,
Les gigantesques tartines de cancoillotte au goûter,
Max faisant des démonstrations de saut périlleux,
Les tartes aux mirabelles de notre grand-mère dont la pâte nécessitait de la peau de lait,
Cartouche « saynète de théâtre » jouée dans le garage du propriétaire,
La mansarde transformée en atelier ou Max s’exerçait à peindre des fleurs au pastel à l’instar de la voisine du rez-de-chaussée ou à élaborer des sculptures en fil de fer et en plâtre.
Plus tard, le vélo vert à guidon droit que j’ai reçu de mes parents, parce que Max avait réussi son bac de lettres et que notre grand-mère lui avait offert pour le récompenser un magnifique vélo violet à guidon de course et double plateau.

Max (une classe avant moi) en première, philo puis Khâgne, au Lycée du Parc où notre père était professeur, commençait sa carrière de provocateur attiré par toutes les audaces en littérature, en peinture et en musique : Les objets, les images et les livres s’accumulaient déjà dans la chambre que nous partagions alors place Jean-Macé.

Ainsi, grâce à Max, tous les aspects de la pensée, de la culture et de l’art d’avant-garde m’étaient disponibles à domicile

Artaud, Lautréamont, André Breton suivaient Sartre
Les fleurs au pastel étaient oubliées et les images punaisées aux murs étaient signées Picasso, Miro, Ernst, Duchamp …
Sidney Bechet a vite été supplanté par Gerry Mulligan , Bud Powell, Thélonius Monk et surtout Charlie Parker sur l’improbable tourne-disque Capri (ancêtre du Teppaz) que Max avait déniché je ne sais où.

Et puis il y avait le théâtre : Après Britannicus joué par Jean Marais aux Célestins en 1952, que nous vîmes ensemble il se mit à fréquenter assidûment la rue des Marronniers ou j’ai admiré pour la première fois son ami Roger Planchon dans Liliom de Ferenc Molnar.


En 1955 Max a quitté le domicile de nos parents, peu avant la mort prématurée et subite de notre père un soir glacé de mars 1956.
Mais pendant mes années d’étudiant je le retrouvais souvent le soir avec ses amis
Chez Planchon, entre le Théâtre de la Comédie et le café de la Brioche
Chez Marcel et Zaza Michaud à la Galerie Folklore rue de Jussieu
Chez les frères Péju à la librairie La Proue
Tard le soir Rue Bellecordière à l’arrière du Progrès avec Jean-Jacques Lerrant      
Et le dimanche matin au Ciné Club (au Pax, au Tivoli) avec Bernard Chardère

Ah ! c’était bien d’avoir un grand frère de cette envergure, pas toujours facile à suivre, mais on y gagnait toujours,

Des rencontres comme Antoine Demilly, Etienne Martin ; ou cette nuit mémorable en 1956 autour d’une soupe à l’oignon quai Saint- Antoine à refaire le monde avec Planchon et Ionesco.
Et aussi des amis, Modest Cuixart, Michel Vinaver et tant d’autres impossibles à énumérer, plus ou moins proches mais toujours passionnants.

Je crois même, que c’est dans ces milieux infréquentables que j’ai rencontré Denise, ma femme.

Comme Max n’a jamais voulu « monter à Paris » j’ai pu continuer à suivre, d’assez près, bon nombre de ses aventures, quelquefois pour lui rendre service comme chauffeur ou comme photographe, mais le plus souvent pour le simple plaisir.

Comment oublier, au printemps 1967, cette soirée sans fin dans les bistrots de Barcelone avec Max, René Metras (son galeriste) Cuixart, Stahly, Jean Baptiste Chéreau, alors que des patients m’attendaient le lendemain à 8 heures du matin dans mon cabinet dentaire. (et qu’il n’y avait pas encore d’autoroute entre Lyon et l’Espagne)

Une mémorable expédition un week-end de l’automne 76 à Berlin au Schiller Theater pour la première de La Double Inconstance de Marivaux mis en scène par Jacques Rosner, dans des décors de Max, parce qu’il fallait rapporter moult cartons de livres.

Ou en 1978 le pèlerinage à Bayreuth pour applaudir la mise en scène iconoclaste du Ring par Patrice Chéreau.        Etc.     etc.    etc.

Max pour ses amitiés comme pour tout le reste recherchait toujours le meilleur et l’on trouvait peu de médiocres autour de lui.
Il avait une insatiable curiosité et une rare exigence dans tous les domaines : les amis, les lectures, les cigares, la nourriture, la musique et même les vêtements …

On le retrouvait partout, partout où il fallait aller, bref on était proches et c’était bien.

Il va vraiment manquer à notre mère, à nos sœurs, à Denise, et surtout à Marie-Claude qui a eu le privilège de partager son aventure exaltante pendant toutes ses années.

Pourquoi mourir quand on a un si formidable appétit pour la vie, pour la connaissance, pour la beauté ?

La vie va devenir moins passionnante sans mon grand frère.


Rémi Schoendorff, lu aux funérailles de Max le 25 octobre 2012


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